3:33
  • Copié

Chaque jour, Vincent Hervouet traite d’un sujet international.

La visite du Patriarche libanais en France reçu longuement hier par Emmanuel Macron.

C’est le chef d’une église reçu comme un chef d’Etat. L’Elysée le loge au Bristol, le palace en face, le Premier ministre, le Président du Sénat, le maire de Paris, etc, se bousculent pour le rencontrer. Le Président lui-même a passé hier une heure un quart en tête à tête avec le Patriarche maronite d’Antioche. Emmanuel Macron ne s’est pas confessé, cela aurait pris plus de temps (avec les banquiers, c’est toujours long…), ils n’ont pas parlé de religion, bien que sa béatitude Bouchara Boutros Rahi soit aussi un Prince de l’église catholique, un cardinal. Non, c’était un rendez vous 100% politique. Quand un Patriarche libanais voyage, il devient le père de la Nation. Cela remonte à 1920, au traité de Versailles, le Patriarche était mandaté par ses compatriotes pour négocier avec Clémenceau les frontières du Grand Liban. Le Patriarche à l’étranger parle pour tous les Libanais et il peut dire ce que les politiques n’osent pas dire.

Qu’est-ce qu’il avait à dire à Emmanuel Macron de "tabou" ?

Que les réfugiés syriens doivent rentrer chez eux. Qu’il y a urgence à les reconduire à la maison. Que la plus grande partie de la Syrie est désormais sous contrôle et qu’il faut en profiter pour rapatrier ceux qui le veulent, et aussi ce qui ne le veulent pas forcément. Qu’il ne faut pas attendre une solution politique, que Bachar El Assad soit allé au diable ou que la Syrie soit devenue comme la Suisse. Non, c’est tout de suite qu’il faut régler le problème des réfugiés en les renvoyant.

C’est choquant, surtout dans la bouche d’un homme d’église.

C’est tentant de donner des leçons de charité au clergé. Les bonnes âmes n’ont pas idée de la fragilité du Liban. Si le pays a réussi à maintenir 18 communautés, dans un cadre à peu près démocratique, malgré les bains de sang réguliers et malgré les voisins envahissants, c’est parce que la place assignée à chacun a été soigneusement négociée en fonction du poids démographique de chaque communauté. C’est savant, c’est précaire. Quand c’est remis en cause, c’est mortel. Les Palestiniens de l’Olp débarquant à Beyrouth, chassés de Jordanie, ont ainsi lancé le compte à rebours de la guerre civile. Depuis 2012, c’est miracle qu’un million et demie de réfugiés syriens, musulmans dans leur écrasante majorité et sunnites à 80% n’aient pas fait chavirer le pays…
Sauf que cela ne peut plus durer.

Et pourquoi ?

Le gouvernement syrien a pris le mois dernier la loi N° 10 qui autorise les communes à exproprier les biens abandonnés pour reconstruire. Les Occidentaux pensent qu’il s’agit du nettoyage ethnique des zones rebelles. Les Libanais y voient un péril mortel : les réfugiés vont rester. Les Chrétiens vont devenir très minoritaires chez eux. Les équilibres sont rompus. Le Patriarche sonne le tocsin : l’ONU doit financer la reconstruction de la Syrie plutôt que la destruction du Liban en y entretenant les réfugiés.